CRITIQUE | « Moi, Daniel Blake » : tragédie ouvrière
- Francis Dupont
- 7 mai 2017
- 3 min de lecture

Crédit photo: Métropole Films Distribution
Moi, Daniel Blake (V.O. I, Daniel Blake) - Belgique/France/Royaume-Uni, drame, 100 minutes. Réalisation: Ken Loach | Scénario: Paul Laverty | Photographie: Robbie Ryan | Montage: Jonathan Morris | Direction artistique: Fergus Clegg & Linda Wilson | Costumes: Jo Slater | Productrice: Rebecca O'Brien | Interprètes: Dave Johns, Hayley Squires, Dylan McKiernan, Briana Shann, Kate Rutter, Kema Sikazwe, Steven Richens, Gavin Webster
Il en aura fallu du temps, mais le voilà enfin! Le lauréat de la Palme d’or 2016, Moi, Daniel Blake, arrive sur les écrans québécois près d’un an après avoir été lancé au Festival de Cannes. L’attente en aura valu la peine puisque c’est un film aux revendications sociales comme Ken Loach sait si bien les mettre en scène. Bien que ce nouveau long-métrage du cinéaste britannique soit de facture plutôt classique, il n’en reste pas moins poignant.
Daniel Blake (Dave Johns) est un charpentier veuf de Newcastle en arrêt de travail suite à une crise cardiaque. Bien que son médecin lui ait déconseillé de retourner travailler en raison de son état de santé, lorsqu’il subit l’examen médical exigé par le bureau d’aide sociale, il est déclaré apte à réintégrer son milieu professionnel mettant fin à ses prestations d’assurance chômage. Voulant faire appel de cette décision, Daniel doit s’engager dans une longue démarche administrative. Entre temps, il n’a d’autre choix que de se mettre à la recherche d’un emploi s’il veut bénéficier de prestations d’assurance chômage. Lors de ses allers-retours au bureau d’aide sociale, il y rencontre Katie (Hayley Squires), une jeune mère monoparentale de deux enfants, qui vient d’arriver à Newcastle. Sans le sou et se cherchant un emploi, Katie a été contrainte de s’installer à Newcastle puisque c’est la seule ville où le gouvernement pouvait lui fournir un logement. Daniel se lie d’amitié avec Katie et ses enfants et décide, avec le peu de moyens qu’il possède, de l’aider en réparant son appartement et en s’occupant des enfants. Bien que la solidarité leur permette tout juste de survivre, Daniel et Katie sont loin d’être au bout de leur peine. Leur situation n’a rien d’émouvant pour l’appareil gouvernemental et ils devront s’engager dans un combat digne de David contre Goliath pour pouvoir se faire entendre.
Le cinéma de Ken Loach est marqué par des thèmes comme la pauvreté, le droit des travailleurs, et les injustices sociales. Que ce soit dans Land and Freedom, My Name is Joe, Bread and Roses ou Sweet Sixteen, le réalisateur anglais ne se gêne jamais pour insérer dans ses films des commentaires politiques. Homme aux idées de gauche, Ken Loach braque sa caméra sur des personnages « ordinaires » qui n’ont rien à voir avec le cinéma clinquant. Dans Moi, Daniel Blake, Loach évoque, par le fond, le néoréalisme italien, et, par la forme, le documentaire. En effet, l’histoire de Daniel Blake est celle de bien des gens au Royaume-Uni et d’ailleurs dans le monde. Son combat contre la machine gouvernementale pour sauver sa vie et préserver sa dignité en est un bien contemporain. C’est dans ce sens que le cinéma de Loach est revendicateur, il positionne son protagoniste dans une situation où il décide de se battre plutôt que d'abandonner. C’est ce qui rend le cinéma de Loach pamphlétaire, il n’est pas seulement dans l’observation de la misère, mais il est aussi dans la dénonciation de celle-ci. Par moment, cette dénonciation est si virulente qu’elle semble manquer de nuance particulièrement dans sa représentation des fonctionnaires.
Malgré ce bémol, Moi, Daniel Blake exprime tout de même son propos avec efficacité et émotion dans une mise en scène ultra réaliste. Ken Loach place le spectateur dans une position où il est quasi impossible de ne pas éprouver de l’empathie pour ses deux personnages principaux. Mentionnons une scène bouleversante où Katie et Daniel se rendent dans une banque alimentaire. La séquence est à fendre l’âme en particulier grâce à l’interprétation de Hayley Squires. D’ailleurs, la jeune actrice et son compagnon de jeu, Dave Johns, sont impeccables dans leur rôle respectif.
Moi, Daniel Blake, qui aura valu à Ken Loach sa deuxième Palme d’or après celle reçue pour Le vent se lève, se classe parmi les films les plus marquants de ce vétéran du cinéma. Politisé, poignant, quoique quelque peu classique dans la forme, ce film est un rappel que le cinéma peut servir, et devrait servir, d’arme de dénonciation et de revendication.
4 étoiles
Moi, Daniel Blake est présentement à l'affiche au Québec.





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