CRITIQUE | « Fences » : l’envers du rêve américain
- Francis Dupont
- 12 janv. 2017
- 3 min de lecture

« Fences » - États-Unis, 2017, drame, 2h19. Réalisation: Denzel Washington | Scénario: August Wilson d'après sa pièce de théâtre « Fences » | Photographie: Charlotte Bruus Christensen | Montage: Hughes Winborne | Musique: Marcelo Zarvos | Direction artistique: David Gropman | Costumes: Sharen Davis | Producteurs: Todd Black, Scott Rudin & Denzel Washington | Interprètes: Denzel Washington, Viola Davis, Stephen McKinley Henderson, Jovan Adepo, Russell Hornsby & Mykelti Williamson
Il y a Tennessee Williams, Arthur Miller ou, encore, Eugene O’Neill. Les figures de proue du théâtre américain. Mais il y a August Wilson, un grand dramaturge américain, gagnants de deux prix Pulitzer, mais n’ayant pourtant pas la même renommée que les auteurs cités précédemment. August Wilson a consacré son œuvre à la condition des Afro-Américains dans les États-Unis du XXe siècle. Denzel Washington, qui connait bien l’univers de Wilson pour l’avoir joué au théâtre, porte à l’écran Fences dans lequel il enfile le chapeau de réalisateur et d’acteur.
Troy Maxson (Denzel Washington) est un cinquantenaire, ancien joueur de baseball étoile, maintenant éboueur. Bien qu’il déteste son emploi et sa condition, sa famille est la seule chose qui lui apporte un peu de bonheur dans son existence. Sous ses allures d’homme dur et autoritaire se cache une âme marquée par un passé difficile et par les injustices d’une société profondément raciste. Rose Maxson (Viola Davis), son épouse, est à première vue une femme discrète et soumise à son mari. Pourtant, elle est la seule qui puisse tenir tête un tant soit peu à son conjoint dont les envolées colériques effraient tout le monde. Troy se montrant intransigeant envers ses fils, car il craint ce que l’Amérique ségrégationniste leur réserve, Rose est celle qui soutient leurs espoirs d’une vie différente de celle de leur père.
Fences s’appuie d’abord sur un scénario d’une grande force. Les mots d’August Wilson ne perdent ni de leur force ni de leur pertinence à l’écran. L’adaptation qui en a été faite aurait gagné à resserrer son récit afin d’éviter quelques longueurs. Cependant, la grandeur des envolées des personnages principaux compense cette faiblesse. Entendre les paroles cruellement vraies de Wilson sur la condition humaine, plus spécifiquement celle des Afro-Américains vivant dans l’ère ségrégationniste, donne des frissons. Évidemment, ce ne sont pas que les paroles qui font frissonner, mais c’est aussi la grande interprétation que la distribution tout entière. Denzel Washington et Viola Davis sont impeccables dans les rôles de Troy et Rose qui leur ont valu chacun un Tony lorsqu’ils les ont d’abord joués sur Broadway il y a quelques années. À l’écran, ils sont tout simplement impériaux. Denzel Washington a toute la prestance naturelle pour insuffler une autorité quasi tyrannique à Troy tout en laissant paraître ses souffrances profondes. Quant à elle, Viola Davis offre une Rose d’abord douce, pour tranquillement devenir volcanique. Ils n’offrent rien de moins qu’une grande leçon d’interprétation dans Fences.
C’est la troisième fois que Denzel Washington s’aventure derrière la caméra après Antwone Fisher, dans lequel jouait Viola Davis, et The Great Debaters. L’acteur et cinéaste montre une aisance dans sa réalisation qui est probablement due à son expérience, mais aussi à sa très bonne connaissance de l’univers de Wilson. Bien que, par moment, la mise en scène rappelle fortement les origines théâtrales de l’histoire et ne se serve pas pleinement des possibilités offertes par le cinéma, le résultat est tout de même très convaincant.
La transition d’une œuvre du théâtre au cinéma peut souvent être casse-gueule. Nombreux sont les longs-métrages qui n'ont pas su se départir de la théâtralité pour donner une personnalité pleinement cinématographique au récit. Sans avoir réussi une transition parfaite de la scène à l’écran, Fences est une adaptation de grande qualité grâce, avant tout, à ses interprètes. L’adaptation que Denzel Washington en a faite est un excellent portait de la population afro-américaine alors qu’elle était soumise à un système qui l’oppressait systématiquement. Au-delà de ce portrait sociohistorique, Fences examine avec une impressionnante précision et humanité la résignation face aux rêves déchus. Un sujet qui n’est limité à aucune couleur de peau.
3 étoiles
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