CRITIQUE | "Le Fils de Saul": un film qui ne vous laissera pas indemne
- Francis Dupont
- 25 janv. 2016
- 3 min de lecture
"Le Fils de Saul" - Hongrie, 2015, drame, 1h47. Réalisation: László Nemes | Scénario: László Nemes & Clara Royer | Photographie: Mátyás Erdély | Montage: Matthieu Taponier | Musique: László Melis | Direction artistique: László Rajk | Costumes: Edit Szücs | Producteurs: Gábor Rajna & Gábor Sipos | Interprètes: Géza Röhrig, Levente Molnár, Urs Rechn, Sándor Zsótér
Depuis la fin du second conflit mondial, la Shoah n’a jamais cessé d’alimenter les artisans du cinéma. De Nuit et Brouillard, d’Alain Resnais, au Pianiste, de Roman Polanski, en passant par La Liste de Schindler, de Steven Spielberg, les films sur le sujet ne se comptent plus. Certains sont devenus des œuvres phares du septième art, comme ceux mentionnés précédemment, d’autres sont oubliables. Le fils de Saul, Saul Fia en hongrois, est pour sa part un très grand film qui propose un point de vue inédit sur l’Holocauste. C’est un film qui restera dans votre esprit longtemps après la fin du générique.
En 1944, Saul Aüslander, un homme juif hongrois emprisonné dans le camp de concentration d’Auschwitz, fait parti d’un sonderkommando. Ce groupe de travail est composé de prisonniers qui ont pour tâche de disposer des cadavres dans les camps sous peine d’être assassinés eux-mêmes. Alors qu’une extermination vient d’avoir lieu, un jeune garçon, toujours vivant, est découvert parmi les morts. Saul reconnaît son fils qui meurt quelques instants plus tard. Déterminé à offrir à celui-ci une sépulture décente, Saul fera tout en son pouvoir, risquant sa vie et celles des membres de son sonderkommando, pour lui donner un enterrement digne.
Tout d’abord, il y a Géza Röhrig, l’homme sur lequel repose Le fils de Saul. Il est dans la presque totalité des plans du film, la caméra est braquée sur lui continuellement. Le spectateur vit l’histoire de son point de vue. Röhrig relève un défi de taille grâce à sa composition sans artifice et avec une économie de parole. Son jeu évite tout sentimentalisme, mais sans pour le moins être évocateur. Cet acteur, qui est aussi un poète publié, évite toute forme de surenchère afin d’offrir une performance magistrale.
Ensuite, il y a László Nemes, ce réalisateur hongrois ayant grandi en France, qui nous arrive avec un premier film d’une grande maîtrise. Sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes en 2015, fait rare pour une première œuvre, Nemes s’y est vu décerner le Grand Prix. Certains pensaient qu’il aurait même pu décrocher la Palme d’or ce qui aurait été amplement mérité. Le Fils de Saul possède une grande qualité : l’évocation. László Nemes ne montre rien de l’horreur d’Auschwitz, pourtant, le spectateur comprend tout. Le réalisateur a choisi de filmer son personnage principal en gros plan, empêchant ainsi de voir ce qui se passe autour de lui. C’est par le son que tout s’exprime : des bruits de portes, de cris, de tirs, de corps traînés, de flammes qui crépitent dans les fours… C’est à glacer le sang. Particulièrement, la scène d’ouverture qui montre la routine macabre à laquelle Saul est condamné. Nemes a aussi rédigé le scénario, avec Clara Royer, dans lequel il examine la Shoah du point de vue d’un seul homme. Plutôt que de brosser une fresque historique de l’évènement, Nemes propose un regard intime, mais qui transcende l’individualité. Le scénario, tout comme la mise en scène, fait l’économie de la parole et des images pour laisser place à l’évocation. C’est franchement efficace et dérangeant.
La photographie de Mátyás Erdély s’intègre parfaitement dans la démarche du réalisateur. Elle est sobre et sombre et offre presque exclusivement de gros plans de Saul. Cette caméra crée une atmosphère aliénante qui rappelle l’état du prisonnier. Le montage est tout aussi efficace en donnant des plans longs qui accompagnent le personnage principal pour créer l’illusion d’assister à son histoire en temps réel.
Il est fascinant de constater que la Shoah est un réservoir d’inspiration inépuisable pour les cinéastes. Mais, au-delà du devoir de mémoire, quelle est l’utilité de produire de nouveaux films quand tout semble avoir été dit? Le fils de Saul répond à cette question grâce au regard qu’il pose sur les évènements. Si tout semble avoir été abordé par le cinéma, à propos de l’Holocauste, rarement avait-il montré les évènements avec un point de vue aussi humain, aussi dépouillé. Le fils de Saul nous fait oublier qu’on regarde un film. Il nous présente une histoire dérangeante sans en faire un spectacle. On en ressort un peu transformé.
4½ étoiles





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