CRITIQUE | "Room": l'horreur et l'amour vus par un gamin
- Francis Dupont
- 9 nov. 2015
- 3 min de lecture
"Room" - Canada/Irlande, 2015, drame, 1h58. Réalisation: Lenny Abrahamson | Scénario: Emma Donoghue d'après son roman Room | Photographie: Danny Cohen | Montage: Nathan Nugent | Musique: Stephen Rennicks | Direction artistique: Ethan Tobman | Costumes: Lea Carlson | Producteurs: David Gross & Ed Guiney | Interprètes: Brie Larson, Jacob Tremblay, Joan Allen, Sean Bridgers, William H. Macy, Tom MacCamus
C’est auréolé du prix du public au dernier festival international du film de Toronto (TIFF) qu’arrive sur nos écrans Room du réalisateur irlandais Lenny Abrahamson. Lancé au dernier festival du film de Telluride, en septembre dernier, Room est un magnifique film qui baigne entre la noirceur d’un crime ignoble et la douce naïveté d’un enfant.
Room raconte l’histoire de Jack (Jacob Tremblay), un gamin né du viol de sa mère, Joy (Brie Larson), par un bourreau (Sean Bridgers) qui les séquestre dans un cabanon à l’arrière de son domicile. La première partie de l’histoire, filmée tel un huis clos, montre le quotidien du garçon et de sa mère et l’univers que celle-ci a bâti pour lui afin de le protéger de l’horreur de la réalité dans laquelle ils vivent. Dans la seconde partie, après une tentative d’échappement risquée, ils retrouvent leur liberté et leur famille. Joy se surprendra à ne pas reprendre goût à la vie comme elle l’aurait imaginé, malgré le soutien de sa mère (Joan Allen). Pour sa part, Jack découvrira un monde qui lui avait été interdit jusque-là et qui est beaucoup plus vaste que la pièce à l’intérieur de laquelle il a vécu les cinq premières années de sa vie.
Room est mené par deux acteurs offrant d’extraordinaires performances : Brie Larson et Jacob Tremblay. Elle s’est fait remarquer, il y a deux ans, dans le film indépendant Short Term 12 et elle a été vue, plutôt cette année, dans Trainwreck aux côtés d’Amy Schumer. Dans Room, Brie Larson est bouleversante. Elle joue habilement une femme déchirée entre son rôle de mère et son calvaire de victime. Si, aux premiers abords, elle insuffle une force incroyable à son personnage, elle révèle tranquillement une femme brisée qui vit pour protéger et aimer son enfant. Brie Larson communique intensément l’amour maternel et inconditionnel de Joy pour Jack. Elle est, d’ores et déjà, une des favorites pour remporter l’Oscar de la meilleure actrice en février prochain. De son côté, le petit Canadien, Jacob Tremblay, est d’une grande vérité dans le rôle de cet enfant pour qui le monde est une énigme. Sa performance impressionne par son réalisme, particulièrement en raison de son jeune âge. Bien que les prestations d’enfants-acteurs soient parfois déconsidérées vu l'âge de leurs interprètes, il est évident que, dans ce cas-ci, Jacob Tremblay joue et il le fait de façon spectaculaire. La chimie entre ces deux acteurs crève l’écran et ils rendent crédible la relation fusionnelle qui unit Jack et Joy. Mentionnons aussi la présence de Joan Allen qui, bien que discrète, livre une mère et une grand-mère touchante.
Lenny Abrahamson offre une réalisation tout en symbiose avec l’histoire. De façon habile, à l’aide de sa caméra et d’une mise en scène ingénieuse, il réussit à constituer l’univers créé par Joy dans cette petite pièce. Le défi était grand et, pourtant, jamais le récit ne semble statique à l’intérieur de ce huis clos. La réalisation d’Abrahamson éclot lorsque Joy et Jack retrouvent le monde extérieur, donnant une véritable impression de libération. En filmant toute l’histoire du point de vue de Jack, Abrahamson parvient à montrer le monde tel que Jack le voit : nouveau, fascinant, inquiétant. Il pourrait être reproché au réalisateur d’user de trop de sentimentalisme par moment. Bien que la musique de Stephen Rennicks soit très belle, elle est surutilisée dans quelques scènes. Le scénario et les acteurs suffisent amplement à transmettre l’intensité dramatique sans avoir besoin d’en rajouter.
Emma Donoghue, auteure Irlando-Canadienne, a adapté son roman acclamé par la critique, Room, pour le grand écran. Bien que, de prime à bord, l’histoire puisse sembler terriblement sombre, elle est, en fait, lumineuse. Ses personnages de Joy et Jack sont si forts qu’ils font oublier momentanément l’horreur qu’ils ont subie pour faire rayonner l’amour qui les unit.
Room est beaucoup plus qu’un film sur un enlèvement et les dommages collatéraux qu’il cause. Room est un film sur l’amour, sur un amour qui naît dans l’horreur, mais par lequel la survie devient possible alors que tout le reste semble perdu. Il est définitivement un grand cru de l’année 2015.
4 étoiles
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